Un langage de forme universelle

2002

Les figures carbonisées de Christian Lapie ont un aspect spectral qui ne peut manquer d'inquiéter le regard. Monumentales et puissantes, on pourrait les prendre pour des fantômes ; dans l'obscurité de la nuit, c'est du moins ainsi qu'elles apparaissent. Mais les spectres ne sont guère sociables et l'on n'en a jamais vu aucune réunion ; or, les sculptures de Lapie sont destinées à vivre en groupe. Non qu'elles y gagnent en force. Mais, elles ont quelque chose d'agrégatif qui impose une présence multipliée. Taillées, elles en imposent par leur stature, leur hiératisme et ce je ne sais quoi d'un autre âge qui peut tout aussi bien être d'hier et de demain.


Ni bras, ni jambes, ni visage : rien n'est ici délivré d'une identification, seul fait signe la brutalité primitive d'une masse noire et muette. Nées du feu, d'un âge que l'on pourrait dire être défunt, les figures de Christian Lapie n'avancent ni ne reculent. Elles sont là, insupportablement là. Elles y ont toujours été. Comme une mémoire obsédante. Comme un timbre sourd qui n'en finit plus de résonner. Comme l'image en abîme d'une présence irrésistible, et pour tout dire inévitable. Etrangères, pour le moins déstabilisantes, elles nous fascinent cependant parce qu'elles ont à l'instar d'autres figures mémorables d'une histoire de la statuaire, cet air, à la fois doux et dur, d'éternité qui passe (Jean Genêt).

Philippe Piguet

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