Un projet diabolisé par... la veuve d'un criminel nazi
2001
L'Union
"Voici rapidement résumée la genèse de l'histoire de cette sculpture contemporaine baptisée « War Game » par son créateur Christian Lapie, et toujours interdite d'exposition dans la pièce contiguë à la salle de Reddition de la petite maison de briques rouges (lycée Roosvelt).
1992 : Christian Lapie , sculpteur-plasticien marnais, connu pour son travail sur les traces laissées par la guerre est sollicité par la ville de Reims (Véronique Alemany Dessaint, conservateur) et la direction régionale des affaires culturelles pour la réalisation d'un projet pour la salle de Reddition.
« Compte tenu l'évolution de l'histoire depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les rapprochements franco-allemands à divers niveaux », le conservateur souhaite « actualiser l'esprit de ce lieu commémoratif et faire évoluer les mentalités qui seraient restées trop passéistes (…)
L'oeuvre à réaliser doit actualiser l'esprit du lieu par rapport à la mentalité de la génération des enfants de cette guerre : à la fois en tenant compte de l'horreur et de la dérision d'une guerre, mais aussi en approuvant l'évolution de l'Allemagne réunifiée et de son intégration dans l'Europe en construction »
Janvier 1993 : Présentation de maquettes et de dessins d'une oeuvre prévue pour être installée durant deux ans dans le bâtiment de la salle de Reddition.
« J'ai eu l'idée d'une table au même format que celle qui a servi à la signature (5mX1,70) avec des incrustations d'armes jouets car je pense que la violence est innée chez l'homme, que même les enfants jouent à la guerre et qu'il faut tout faire pour se contrôler.
Cette oeuvre aurait ensuite cédé la place à d'autres (vidéo, photos, etc.) réalisés par des artistes de pays belligérants ou signataires de la Reddition. Le prétexte à animation du site, d'aide au travail de mémoire. »
Juillet 1993 : Commande de la ville et versement de 50% du montant de la commande évaluée à 70 000F. On demande à l'artiste de faire diligence pour être prêt dès juin 1994 (50° anniversaire du débarquement).
Une veuve de poids
Hiver 1993 : Suite à un article d'un critique d'art allemand Günter Metken paru dans le « Süddeutsche Zeitung » saluant la pertinence et le courage de la ville de Reims de commander une telle oeuvre, la veuve du général nazi Jodl, signataire de la reddition à Reims (puis condamné à mort en 1946 comme criminel de guerre à Nuremberg) s'est émue auprès du président François Mitterand de l'inconvenance d'une telle oeuvre.
Sitôt l'Élysée a diligenté une enquête auprès de la préfecture de la Marne qui s'est tournée vers la ville de Reims qui a prétendu… ne pas avoir eu connaissance d'un tel projet artistique !
À la suite de quelles pressions, quel arrangement cela a-t-il été possible, on l'ignore toujours. Toujours est-il qu'à partir de cette date le projet de Lapie a été torpillé.
Surpris dans un premier temps par la nature de l'oeuvre, mais finalement intéressé qu'un jeune se passionne pour la dernière guerre, les anciens combattants avaient toussé devant l'oeuvre, mais c'est tout.
Dans un deuxième temps, à quelques mois des municipales, c'est un véritable tir de barrage de critique de ces mêmes anciens combattants auquel a eu droit l'artiste. Allez savoir pourquoi ?
Premier trimestre 1995 : Voyant son projet capoté, Christian Lapie porte l'affaire en référé devant le tribunal de grande instance. La ville est condamnée à payer le solde de la commande plus des pénalités et « à prendre livraison » de l'oeuvre réalisée en sept morceaux.
Mai 1995 : Malheureux à Reims, Christian Lapie a le plaisir d'inaugurer à Berlin « Célébration », une table symbolisant aussi la Reddition allemande, du 9 mai 1945 cette fois."
Alain Moyat