Un projet controversé à Reims

1994

Le Monde

L'ombre d'un mémorial


Emue par la lecture d'un article du Süddeutsche zeitung, la veuve du général Jodl, signataire de la reddition des armées allemandes, le 7 mai 19945 à Reims, écrit, le 22 octobre 1993 au président de la République française .Elle s'inquiète d'un projet de mémorial de la reddition qu'elle juge inconvenant. L'Elysée réclame une information à la préfecture de la Marne, laquelle prend contact avec la mairie de Reims. Emotion municipale : le 13 janvier 1994 il est répondu qu'aucun projet n'a été à ce jour présenté à Jean Falala, maire de Reims. Selon Jean Musitelli porte-parole de la présidence de la république, cette réponse est de nature à rassurer Mme Jodl.

Publié le 20 octobre 1993 dans le quotidien allemand sous la signature de l'historien d'art Günter Metken, l'article décrivait le projet, conçu par un artiste français, Christian lapie, de réaliser une oeuvre dans la salle jumelle de celle où eut lieu la reddition ; Il s'agit de reconstruire à l'identique la table de réunion, d'y incruster une série de jouets guerriers et d'y laisser affleurer des fers à béton disposés comme les pièces d'un échiquier ; peint de couleurs vives, l'ensemble doit, dans l'esprit de l'artiste, « appeler à une certaine vigilance quant aux causes des conflits présents et à venir » 

La conservatrice du Musée des beaux-arts, également en charge de la salle de la reddition, soutient le projet. Le Fonds national d'Art Contemporain (FNAC) a déjà acquis les maquettes et passé commande à l'artiste pour « la réalisation d'une oeuvre actualisant l'esprit du lieu (…) à la fois en tenant compte de l'horreur et de la dérision d'une guerre, mais aussi en approuvant l'évolution de l'Allemagne réunifiée et de son intégration dans l'Europe en construction, précise le cahier des charges, qui ajoute »Un texte a été commandé à un critique d'art allemand, qui a participé à la seconde guerre mondiale ». Cette commande publique semblait donc bien engagée. Son achèvement devait coïncider avec les commémorations du cinquantenaire.

Un brin d'ironie


Ayant eu vent de rumeurs, Christian Lapie écrit au maire. Le 2février, ce dernier lui répond ne pas comprendre son étonnement « car aucune décision remettant en cause la commande d'une sculpture pour la salle de reddition n'a été prise par la ville de Reims ».
Le maire précise néanmoins son intention de consulter les anciens combattants et résistants. Ceux-ci ne jugent, semble-t-il, pas le projet outrancier, et apprécient qu'un jeune artiste s'intéresse aujourd'hui à ces événements et les traite de façon actuelle, même s'il y mêle un brin d'ironie.

Ironie dont n'était pas dépourvue le général Jodl : si l'on en croit Csamayor, il en fit preuve tout au long de son procès. Jugé pour crimes de guerre, il a été pendu à Nuremberg le 16 octobre 1946."

Harry Bellet

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