Christian Lapie, citoyen artiste en Champagne

2002

Le Monde

"Né en 1955 en Champagne, Christian lapie demeure fort peu connu en France. Sa carrière s'est faire pour l'essentiel à l'étranger : au Japon (1987), en Australie (1990), au Brésil, et surtout en Allemagne et en Suisse, où vivent ses principaux collectionneurs.

Or Christian Lapie est viscéralement attaché au bord de la rivière où il est né, où il vit, où il travaille. Il connaît sa terre, la sait chargée d'histoire : pas un soc de charrue qui, l'égratignant, n'en fasse surgir un vestige enfoui, témoignage guerrier le plus souvent, recouvert d'un humus lourd.

Cette méconnaissance dans son propre pays s'est brutalement évanouie en 1994, quand fut ajournée sine die une commande publique de la ville de Reims, celle d'un mémorial de la reddition des armées du IIIe Reich. L'oeuvre avait déplu à la veuve du général Jodl, l'un des signataires, qui s'en était inquiétée auprès de l'Elysée (Le Monde du 15 février 1994) : les édiles affrayés avaient renoncé au monument. Lapie leur fit un procès, qu'il gagna, et fut invité à exposer à Berlin, par des Allemands moins pusillanimes.

Caractéristique de son travail, l'oeuvre était une réplique en ciment de la table sur laquelle fut signé l'acte de reddition. En émergeaient des fers à béton, comme autant de personnages d'un "Kriegspiel", évoluant sur un moulage en creux de jouets guerriers, le tout, ou presque, peint en rose. Lapie entendait "appeler à une certaine vigilance quant aux causes des conflits présents et à venir".

La polémique ne l'a pas rendu très populaire après des notables rémois. On appréciera d'autant plus la petite rétrospective que lui consacre le FRAC Champagne-Ardenne. Elle permet de mesurer le chemin parcouru, depuis ses interventions au Brésil, où, refusant de participer au pillage de la forêt amazonienne, il vint avec une jungle en papier peint frabriquée en France, jusqu'à la monumentale installation Travail-Volupté, série de stèles humanoïdes, taillées dans un bois brulé, qui sont alignées dans le parc de Schlossberg, à Forbach. Elle s'inscrit dans une lignée partant des ménhirs de Carnac, en passant par les Bourgeois de Calais, et par certaines grandes figures de Dodeigne.

Un travail fait de jeu et de gravité, sans exclure une certaine ferveur, de celle qui peut saisir les artistes lorsqu'ils se mêlent des citoyens."

Harry Bellet

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