Fonds Régional d'Art Contemporain

1998

ArtPress

"Du 2 octobre - 29 novembre 1998 :

Les sculptures de Christian Lapie, de prime abord, laissent perplexe. La forme en est totémique, portée à l'élévation et au solennel, selon une formule qui a pour l'essentiel fait son temps. De nature abstraite et d'un symbolisme appuyé (recours récurrents au bois calciné), les volumes accumulent des éléments d'origine manufacturée, peints dans des tons ternes et mats : rien de très neuf, là encore. Hommage rendu à Etienne-Martin, Joel Shapiro ou Robert Grosvenor, parmi les tenants de la sculpture allusive ?

Au-delà des apparences que dissipe un examen attentif, le travail de Christian Lapie recèle toutefois une dimension autre, notamment dans le registre conceptuel.
Premier indice : l'utilisation d'un "outil visuel" adoptant la forme systématiquement répétée d'un poteau noir en bois brûlé, une forme menaçante, primitive, familière, quoique convoquant "nos obsessions et nos peurs collectives", et où voir, comme le dit l'artiste, tout ensemble "les victimes de l'Histoire et l'image des coupables, des bourreaux de toujours".
Second indice : un travail de manière invariable corrélé à un contexte précis, qu'il s'agisse de la misère des habitants des favelas brésiliennes (série de plâtres peints Javisa, 1992), de l'aliénation des classes moyennes assujetties aux charmes mesurés de la vie pavillonnaire ou de la question de la guerre et de la destruction, omniprésente en Champagne, région d'où l'artiste est originaire.

Pour indéniables qu'elles soient, la densité plastique et l'autonomie même des oeuvres de Christian Lapie se révèlent contrebalancées par un propos réaliste. Cette attention précise à la condition humaine interdit leur consignation au registre passéiste de la sculpture abstraire. La confirmation d'une telle option artistique sera donnée par une anecdote lourde de signification : Christian Lapie, voici quelques années, s'était piqué d'exposer à Reims, sur le lieu même des fais, la table ayant recueilli en mai 1945 la signature du maréchal Keitel, un des artisans de la capitulation allemande -initiative engagée dans le cadre du cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale mais écourtée sur intervention des plus hautes autorités de l'État français, relayant pour circonstance le voeu de discrétion et d'effacement de mémoire des héritiers du dignitaire nazi (Reddition / Célébration, 1995)... La sculpture, attachée ici aux objets ou aux espaces chargés d'un passé trouble ou du tragique de l'existence, n'est pas une forme offerte de façon gratuite. Citation d'une tranche de vie problématique, elle se double d'une préoccupation de témoignage. Elle est à la fois objet de mémoire et sentinelle dressée."

Paul Ardenne

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